Après une nuit bien courte passée dans l'excitation, lever à 5H20, départ à 6H00 et arrivée sur le site vers 7H45. Température extérieure : - 3° C. Ma copine, Alice, qui avec mon père et ma grand-mère, m'a offert le stage, commence à regretter. Une heure plus tard, on s'occupe enfin de nous et pendant 15 minutes, nous avons droit à un bref cours théorique, pendant lequel s'illustre une des stagiaires d'un jour...
LE FORMATEUR - Madame, vous arrivez à fond de 4ème au bout de la ligne droite et vous devez négocier cette épingle (dessin plus que sommaire sur un tableau). Que faites-vous en premier lieu ?
LA DAME – Bah je passe en 3ème...
Rires masculins et néanmoins gras. C'était facile, en même temps. Ah-ah-ah les gisquettes, nan mais franchement, pffff elle aurait aussi bien fait de rester préparer le rôti et les roteuses... Etc.
Enfin vient le moment où l'on nous distribue les charlottes et commence la danse des bolides. C'est mon tour. « Jean-Philippe. Dans la Ferrari, pour le tour de démo ! »
A l'origine, je devais faire :
- - 1 tour en Ferrari F355 Berlinetta 380 CH, en tant que passager ;
- 4 tours tant que pilote dans cette même Ferrari ;
- 5 tours en Porsche 993 285 CH (sans doute une première série optionnée en X51, ou alors une deuxième série).
- - une F355 Challenge de 400 CH ;
- une 993 RS de 310 CH !
Malgré mon 1,82 m, j'ai la tête dans le toit. Enfin, plutôt le casque. L'instructeur commence à me briefer, en regardant ailleurs. J'adore. Celui-là, il va me courir, je l'sens... Le tour de démo s'effectue à allure de grand-mère (enfin, pas la mienne) et l'instructeur annone son jargon « freinage », « point de braquage », « point de corde », avec une voix apathique de guide blasé neurasthénique, genre « des Ferrari de 400 CV, j'en conduis tous les week-ends. Je suis Dieu tout-puissant et je peux t'en faire chier. » J'entends presque rien du V8 à cause de ce satané casque.
Retour au stand, pour 15-20 minutes dans le froid. MODE Schtroumpf ON
Le ballet des Ferrari et des Porsche continue. Une nouvelle fois, la F355 vient s'échouer à quelques mètres de moi, mais cette fois-ci, c'est pour ma pomme.
Sans hâte, je me glisse à l'intérieur, toujours la tête dans le toit. J'ai pas peur, j'ai trop froid. Je lâche l'embrayage et la voiture avance, sans accélérer. Arrivée près de la piste, je m'arrête. Personne. Je m'engage. Je prends le levier et je commets l'erreur fatale : j'essaie de passer de 1ère en 2ème. Et là, l'instructeur commence les engueulades : « Nan, qu'est-ce que j'vous ai dit ? Faut passer en 3ème ! Vous m'écoutez pas ou bien ? » Excuse, milord, mais j'suis impressionné, espère ! La Ferrari pousse, mais je m'en rends pas compte. Je dois taper un 180 avant d'entamer le freinage, je sens que ça pousse, mais rien d'irrationnel, comme je m'y attendais, pourtant, depuis des années . L'autre continue de gueuler : « Passez les vitesses en douceur ! Touuut douuuux ! » T'es mignon, mais depuis que tu m'as fait la démo tout à l'heure, y a un de tes potos qu'a remplacé la boîte par une boîte de camion ! Sans déc, je suis obligé de tirer sur le levier comme un âne et l'autre de gueuler à chaque fois, avec son putain d'accent, du genre : « Le plantéééé d'bâtoooon, Msieur Duceeeee ». Mets tes dents contre le parapet. Et vas-y, remets-moi un coup de « point de freinage, point de corde, point de croix, poing dans ta gueule ». L'autre couillon fait du rap avec son laïus, mais moi, je découvre et j'ai dormi 3H. J'entrave rien du tout, c'est du feeling, sauf que c'est une voiture de compétition et que moi, j'ai appris à conduire une voiture normale.
Pour les sensations, je retrouve celles du kart : j'en ai fait peu, mais c'est bien la même dureté et la direction est au moins aussi ferme. Avant d'entamer la chicane, une 993 semble en difficulté. Qui sait ? Si ça se trouve, celui qui la conduit a un instructeur encore plus relou que le mien sur le chibre. Moi, je me dis : « Pour une fois que l'autre buse me gueule pas dessus, c'est sûrement qu'il me laisse libre, qu'il juge le dépassement opportun ». J'empoigne le levier. Pour une fois, Pépère ne met pas sa main dessus pour m'empêcher de passer un rapport trop tôt. Passage en 3 avant la première courbe de la chicane et ROOOOAAAARRR. Et là, l'autre ne manque pas de me sauter dessus : « Nan mais ça va pas ou bieeeennn ? V'z'attendez que j'vous diiiiiiiise c'qui faut faaaaaire ! Il nous a pas vuuuuu d'vant, mais ça, vous l'savez paaaaas, alors z'attendeeeeeeez ». Et encore une engueulade de 30 sec. D'habitude, je ne suis pas réfractaire à l'autorité. Mais là, se faire engueuler 30 sec quand un tour dure moins d'une minute... Avant de descendre de la voiture, le gars me lâche un « Bah c'est pas trop mal, hein ? » de rigueur, auquel je ne réponds pas. M'a gâché mon plaisir, ce con. Y a manière de dire et manière de dire.
A nouveau attente dans le froid. Pendant ce temps, je visionne les clichés pris par Alice : la piste, un arrière de F355, la piste, la piste avec de la fumée d'échappement, Alice à l'envers, la Ferrari qui disparaît derrière un taillis et Doudou qui gare la F355 avant de laisser le volant Momo à la prochaine victime du gâcheur de souvenirs...
On m'appelle pour les tours en Porsche.
Je descends dans la voiture. Le gars me regarde dans les yeux et me dis : « Bonjour ! ». Je lui serre la main. Ca fait bizarre : lui n'est pas là que pour empocher du fric comme l'autre, mais bien pour faire que le rêve soit concrétisé, de manière homéopathique, certes, mais il ne semble pas décidé à me brimer. Je joue les faux distraits et je tourne la clé de contact, à gauche du volant. Dans la 911, c'est différent. Je n'entends toujours pas le moteur à cause de ce casque que je déteste à présent, mais la position de conduite est plus conventionnelle. Les compteurs sont bien alignés, compte-tours en centre. Zone rouge à 7000. Le tableau de bord me rappelle celui de la Saab 900 que mon père a eue il y a une dizaine d'années. Vertical et fonctionnel, voire indestructible. C'est simple et c'est mieux.
Je m'engage sur la piste. Je me dis : « Quitte à me faire engueuler, autant que ça soit pour quelque chose cette fois-ci ! » Alors, c'est parti. Pied dedans !
Le gars est super sympa. Il ne me dit presque rien, attend que j'ai fait ma connerie, pour me dire : « Ah ! Trop tôt, t'as vu ? Au prochain tour, tu braques au point, pas avant, OK ? » Au 2ème tour, j'accélère fort en débraquant pour prendre la ligne droite. J'avais peur de ne pas sentir l'arrière de la voiture, qu'elle parte d'un coup ou, qu'au moins, le flat 6 fasse sentir sa position en porte à faux en m'y mettant à mon tour, en retour de gaz. Point du tout, Nikeulaaaaas ! La 993 reste plaquée au bitume à l'accél'. Au moment de passer la 4ème, je regarde le compte-tours. 6800 trs/min. Je passe la 4ème, ça continue de pousser. Un dernier regard au compteur avant de me consacrer au freinage. Plus de 180.
Les deux derniers tours sont avalés comme de rien. Dans la chicane, l'instructeur gueule d'un coup : « Très bien, ça ! Même sur le mouillé, la trajectoire, elle passe. Ca tient, ça ! Super ! » Dans le dernier tour, il me dit :
« Où t'as appris à mettre tes mains comme ça ?
- Euh... C'est pas bien, hein ?
- Si, si, au contraire ! »
Alors, je déblatère l'histoire familiale, la grand-mère de choc pilote de kart, le père qui conduisait des Mini préparées qui montaient à 200, entre deux courses, avec son frangin. Histoires de famille, mais que moi, je n'ai jamais vécues que par procuration. Alors, il fallait qu'un jour, j'essayasse. La voiture est garée et on continue de discuter. Alors que j'avoue à demi-mots que je caresse l'idée d'avoir un jour une 911, dans 15-20 ans, l'instructeur me branche sur Ferrari :
« Y en a des pas chères...
- Euh... J'suis prof...
- Ouais, bah, j'ai déjà vu un reportage sur un prof qui avait économisé toute sa vie pour une Lamborghini et qui se l'est payée neuve, le dernier modèle ! »
Wait and see, mais quand même... wait. And see.
Enfin, on m'appelle pour le baptême. 2 tours de 964 RS à côté d'un pro qui me montre enfin que tout ce que j'étais content d'avoir fait 15 minutes plus tôt dans la 993 n'était que de la roupie de sansonnet. Démoralisant, mais jouissif.
Je dépose les armes...
Ma chérieeeeuu, bien contente de voir son Doud' tout chose, en train de répéter inlassablement : "Merci ! Merci ! Merci !..."
Au retour, je remonte dans mon coupé sport. 3° C à 11H. Vingt minutes plus tard, le compteur passait les 150000, alors que le journalier confirmait que la journée était placée sous le signe de la firme d'Ingolstadt.
Et à dix minutes de chez moi, deux fusées dans le rétro. Je termine mon dépassement, et je contemple une 993 Targa grise qui fait la course avec une Countach rouge, large comme un canapé de club-house. Tu vois, Yvan : la Lambourghiné à Douville, c'est pas une légende. Aïe-aïe-aïe !!